martes, 24 de abril de 2018

«Le but, c’est de provoquer la mort sociale»


La masa furibunda se organiza como una comunidad destructiva que aniquila todo aquello que le resulta ajeno. Así deviene una justicia natural, popular.


Pour le sémiologue François Jost, la foule haineuse s’organise comme une communauté détruisant tout ce qui n’est pas elle. Et se pose ainsi en justice naturelle, populaire.

François Jost, sémiologue et professeur émérite en sciences de l’information et de la communication à la Sorbonne nouvelle - Paris-III, est l’auteur de la Méchanceté en actes à l’ère numérique (CNRS Ed., 2018). Il observe ce nouveau visage collectif de la haine qui se répand sur les réseaux sociaux.


http://www.liberation.fr/debats/2018/04/11/le-but-c-est-de-provoquer-la-mort-sociale_1642717
INTERVIEW

«Le but, c’est de provoquer la mort sociale»

Par Erwan Cario — 11 avril 2018 à 19:46 (mis à jour à 19:56)
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Lynchage en réseaux
Comment analysez-vous ces phénomènes de masse qui arrive à intervalles très réguliers où un individu est pris à parti en ligne par une foule souvent très hétérogène ?

Ce qui est intéressant, c’est que cette foule, même hétérogène, s’organise un peu comme une communauté. Pour l’analyser, je m’appuie sur les travaux du philosophe Jean-Luc Nancy : cette communauté s’identifie plus ou moins à un «moi» qui essaie de détruire tout ce qui n’est pas lui. Nancy le rappelle, le mot «haine» a une étymologie germanique qui vient de la chasse. C’est-à-dire que la haine entraîne une volonté de chasse, de curée où on forme un groupe pour défendre son identité et pour détruire l’autre. J’aime beaucoup l’expression qu’il emploie : «Une vengeance par anticipation.» On ne se venge pas d’un acte, mais de l’existence même de l’autre. Je travaille en ce moment sur un événement peut-être plus anecdotique : les milliers de réactions qui ont suivi une séquence de l’émission Un dîner presque parfait où une femme jette un verre d’eau à la figure d’un type. Elle se retrouve complètement démolie par des milliers de commentaires qui s’en prennent à son physique, et l’un dit même : «On devrait la brûler vive !» Ce n’est même pas une grande affaire, mais c’est du quotidien, pour une jeune femme dont la télévision a mis en scène une réaction idiote.
A partir d’un moment où il y a une communauté, on a l’impression qu’il y a une escalade…

C’est typique du phénomène du bouc émissaire qui sert à une foule pour se structurer autour d’une victime. C’est aussi ça, la fonction de la personne qu’on attaque, on s’unit contre quelqu’un, et ça nous rassure en tant que communauté. Quand on parle de haine, on parle aussi d’incitation à la haine. C’est-à-dire qu’on ne se contente pas de haïr, il faut entraîner tout le monde avec soi. «Incitation à la haine» est d’ailleurs presque un pléonasme. A partir du moment où on est dans une haine profonde, on veut que les autres y participent aussi. Ce qui entraîne une escalade dans la violence. Et il faut prendre au sérieux cette violence, parce qu’il peut y avoir un passage à l’acte.
Vous expliquez que ces mouvements peuvent se lire comme une confrontation entre le peuple et l’élite…

C’est pour moi un fil conducteur. C’est aussi une forme de populisme. Il y a d’un côté les fonctions légitimes, comme les médecins, qu’on n’attaquera pas, et de l’autre toutes les professions intellectuelles dont on ne voit pas très bien à quoi elles servent, et qui deviennent un repoussoir pour ce qu’on appelle parfois «le peuple», «la masse» ou encore «les gens». C’est la prolongation d’un système de lutte de classes, mais les classes ne sont plus les mêmes. C’est un symptôme du populisme ambiant où les intellectuels sont non seulement dévalués, mais rendus responsables de tous les problèmes du pays. Michel Foucault disait : «Ce n’est pas difficile, l’intellectuel, c’est celui qui est coupable. Coupable d’un peu tout : de parler, de se taire, de ne rien faire, de se mêler de tout. Bref, l’intellectuel, c’est la matière première à verdict, à sentence, à condamnation, à exclusion.»
Ce sont avant tout des attaques ad hominem et, dans le même temps, les personnes visées sont déshumanisées…

Dans ces rapports-là, il n’y a plus du tout d’empathie. On devient incapable d’essayer de comprendre ce qu’a voulu dire l’autre et on le traite comme un pur objet. Un objet qui n’a plus sensibilité humaine et sur lequel on peut dire n’importe quoi.
Ceux qui participent à ces campagnes haineuses, vous les qualifieriez individuellement de «méchants» ?

Non, pas forcément. Ce sont les actes qui sont méchants. Une anecdote. L’autre jour, j’ai mis sur mon Facebook l’information concernant le type de La France insoumise qui s’était félicité de la mort d’Arnaud Beltrame. Comme commentaire, j’avais mis : «Quel con !» Ce qui n’était déjà pas très gentil, mais bon, j’assume. Et un de mes amis sur Facebook écrit dans un commentaire : «Oui, "quel con !" c’est un barbare, qu’il crève.»Je lui ai alors répondu que c’était excessif et que justement, on ne pouvait pas avoir la même barbarie que ce type-là. Mon ami s’est alors excusé. Il n’est pas méchant. Si on s’était vu au café et qu’il m’avait juste répondu «qu’il crève, ce con !» ce n’aurait pas été bien grave, ce n’est pas la même violence. Mais à l’écrit, on perd tous les traits suprasegmentaux, comme on dit en linguistique, on perd le sourire, on perd l’intonation, il ne reste plus que la brutalité.
Personne ne semble vraiment à l’abri de ces mouvements…

Non, effectivement. On voit bien que le but, c’est quand même de faire perdre à quelqu’un son emploi, de foutre sa vie en l’air. Il y a eu plein de cas, y compris chez des gens qu’on n’aime pas forcément. On voit bien que le signe de cette haine collective, c’est de déboulonner, de faire perdre le statut réel de la personne, de provoquer sa «mort sociale».
Avec un sentiment de se faire justice ?

On retrouve cette idée que les institutions ne font plus leur boulot, qu’elles ne nous protègent plus, que quand la police prend quelqu’un, la justice le relâche, que la justice est une justice de classe. Il y aurait une sorte de justice naturelle, populaire, qui serait plus efficace que l’institution judiciaire.
Cette haine collective est-elle arrivée à un point de paroxysme ? Cela peut-il aller encore plus loin ?

C’est un phénomène très répandu. C’est tous les jours. Rien que pour Sandra, dans Un dîner presque parfait, il y a 3 000 messages de haine absolue ! C’est le symptôme d’un malaise profond d’une partie de la population. Et ce symptôme se transforme en actes. Le problème est politique. Il faut recréer du lien social, montrer que chacun est utile. Mais il ne faut pas oublier non plus l’aspect humain. Le côté sadique du spectateur, se réjouir qu’une personne célèbre soit mise en examen et présupposer immédiatement qu’elle est coupable. On peut citer la phrase on ne peut plus simple de Jankélévitch : «Ton malheur est mon bonheur.» Collectivement, on aime ça. Il y a un plaisir dans le malheur des autres.

Erwan Cario

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