martes, 17 de abril de 2018

Quand les putes sont victimes, mais surtout coupables

"Il existe un stéréotype qu'on entend régulièrement dans les débats sur le travail sexuel quelles que soient les positions défendues. Selon ce stéréotype, il y aurait deux types de putes : celles qui sont forcées et celles qui auraient choisi. Il y aurait d'un côté, les victimes sans espoir et sans possibilité de se faire entendre par elles-mêmes ; et de l'autre, des petites bourgeoises, salopes égoïstes et libérales qui ont choisi l'argent facile par cupidité, voire naïveté, le temps qu'elles se rendent compte de leur erreur."


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Quand les putes sont victimes, mais surtout coupables

THIERRY SCHAFFAUSER 26 FÉVRIER 2018
(MISE À JOUR : 26 FÉVRIER 2018)
Photo tirée d'une manifestation de travailleurSEs du sexe
Comment instrumentaliser les souffrances des travailleurSEs du sexe pour mieux confisquer leur parole et les diviser.

Il existe un stéréotype qu'on entend régulièrement dans les débats sur le travail sexuel quelles que soient les positions défendues. Selon ce stéréotype, il y aurait deux types de putes : celles qui sont forcées et celles qui auraient choisi. Il y aurait d'un côté, les victimes sans espoir et sans possibilité de se faire entendre par elles-mêmes ; et de l'autre, des petites bourgeoises, salopes égoïstes et libérales qui ont choisi l'argent facile par cupidité, voire naïveté, le temps qu'elles se rendent compte de leur erreur.
Les unes seraient nécessairement opposées aux autres, leurs intérêts seraient forcément contradictoires, et les politiques publiques à mener ne pourraient qu'avantager les unes aux dépends des autres.
Ce stéréotype est assez ancien car il vient en grande partie de la mythologie chrétienne et du mythe de Marie Madeleine. On veut bien te pardonner tes pêchés, mais il va falloir te repentir et travailler pour la secte, en reprenant exactement son discours et les représentations de la pute paumée qui s'était éloignée du droit chemin, à cause de mauvaises influences diaboliques, de circonstances qui la dépassent, peu importe l'excuse, du moment qu'on puisse instrumentaliser tes souffrances, exploiter ton histoire, et te réduire à une fonction de témoignage pour dire LA vérité et renforcer le dogme.

Celles qui refusent en revanche, « vendant leur âme au diable », ou « leur corps à un client », seront punies : contrôle fiscal et/ou condamnation pour travail dissimulé, arrêtés municipaux, amendes, véhicules emmenés en fourrière, dénonciation au propriétaire et éviction du logement, retrait de la garde des enfants, éloignement du territoire, discriminations & stigmatisation.
Comme tous les clichés, c'est une arme politique redoutable, puisqu'il est inscrit profondément dans les têtes des gens, qui n'ont plus besoin de réfléchir, mais simplement de faire confiance au bon vieux sens commun.
Le cliché de la victime/coupable permet de nier toute légitimité aux prises de parole publiques des travailleurSEs du sexe, à moins qu'elles soient contrôlées par un mouvement catholique ou autre « protecteur » légitime. Le soupçon pèse derrière chaque mot. Difficile en effet de prendre au sérieux quelqu'unE qui est au choix : manipulée, aliénée, souffrant d'un syndrome de Stockholm, complice d'un proxénète, dépendante de ses revenus directement tirés de l'industrie du sexe, ayant perdu tout sens de ce qu'est une sexualité normale après de multiples traumatismes et violences subies de préférence pendant l'enfance, etc.
Il ne suffit plus qu'à ajouter l'argument populiste de la « majorité silencieuse et souffrante » en discréditant les voix des travailleurSEs du sexe comme minoritaires et non représentatives, et en parlant à la place des 90%-95%-98% (chiffre sans base scientifique, variable selon les besoins).
Les travailleurSEs du sexe qui tentent de porter une parole politique indépendante et de former un mouvement politique autonome sont considérées comme complices des pires saloperies de la terre : viols, esclavage, traite humaine, pédophilie, et autres horreurs. Les organisations qu'elles forment sont au mieux ignorées, ou bien régulièrement diffamées et traitées en parias par l'ensemble de la classe politique.

Elles sont combattues par la gauche, y compris par l'extrême gauche qui les voient comme des agents du capitalisme justifiant la « marchandisation des corps », combattues davantage que peut l'être le Front National, puisqu'il y a bien longtemps que la gauche fait semblant, et a abandonné cette lutte, en reprenant par exemple les théories de « l'appel d'air » pour refuser de régulariser les travailleurSEs du sexe sans papiers, sous prétexte que la France ne doit pas être un « pays d'accueil de la prostitution ».
Les femmes travailleuses du sexe sont encore malheureusement discriminées au sein de nombreux mouvements féministes qui ne les voient que comme des complices du patriarcat, couchant avec l'ennemi, trop en retard dans la conscientisation de leur oppression, et ne pouvant donc pas apporter leurs propres analyses et outils féministes aux autres mouvements de femmes.
Enfin, la pire des punitions est sans doute celle de la division générée par ces discours. Les travailleurSEs du sexe sont en effet généralement contraintes de justifier les raisons pour lesquelles iels exercent le travail sexuel, pour mieux les classer ensuite dans telle ou telle catégorie essentialisée. Cela décourage les rapprochements entre les expériences vécues, l'analyse des continuités ou des ruptures au sein de chacun des parcours, et de comprendre ce qui fait système ou pas.
La lutte contre l'exploitation et les violences est rendue compliquée puisqu'il faut appartenir au bon camp reconnu par l'industrie officielle du sauvetage, et que le seul statut légitime de « victime » n'a rien d'émancipateur, ni ne consiste à changer les rapports de domination, mais à entrer dans un «parcours de sortie de la prostitution » inefficace, et ne servant que de caution morale à la cause prohibitionniste.
Y compris lorsqu'on s'identifie comme « victime », on reste toujours un peu coupable, puisqu'il faut encore prouver aux autorités qu'on est bien engagée dans un « parcours de sortie » afin de bénéficier de droits minimaux, prouver qu'on parle bien français ou qu'on a déjà arrêté le travail sexuel depuis plusieurs mois, alors même que la France a ratifié le traité de Palerme garantissant aux victimes de traite des êtres humains protection au regard du droit au séjour et au logement.

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