La peste, Camus, le virus...

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Camus, le virus et nous


CHRONIQUE. Si pour la plupart «La Peste» remonte aux années d’adolescence, il vaut la peine de s’y replonger aujourd’hui tant on y trouve d’échos à la vague épidémique qui déferle.

Lisbeth Koutchoumoff Arman
Publié dimanche 15 mars 2020 à 13:03
Modifié dimanche 15 mars 2020 à 13:34



Au tout début de La Peste de Camus, le docteur Rieux bute sur un rat mort sur le palier de son appartement. Le concierge, averti, est catégorique: il n’y a pas de rats dans la maison, ce ne peut être qu’une farce. Le docteur se rend ensuite en ville, à Oran, au chevet de plusieurs malades. Plus il progresse dans ses visites, plus le nombre de rats, vivants ou morts, augmente, au détour des rues. «Qu’est-ce que c’est que cette histoire de rats?» demande la femme de Rieux, le lendemain. «Je ne sais pas, c’est bizarre. Mais cela passera», lui répond-il.

Le concierge, quant à lui, a décidé de faire le guet pour débusquer les plaisantins qui déposent des rats sanguinolents dans les couloirs. Peu de temps après, il sera la première victime (le patient zéro) de la peste qui s’est emparée de la ville.

La réalité en face
Début janvier déjà, alors que le Covid-19 semblait encore loin de l’Europe, les ventes du chef-d’œuvre d’Albert Camus ont bondi. Fin janvier, le nombre d’exemplaires était multiplié par quatre en France et par trois en Italie. Mouvement spontané conjugué aux conseils des professeurs dans les écoles, des libraires aussi qui le mettent en avant en Suisse aussi? En tous les cas, si pour la plupart cette lecture remonte aux années d’adolescence, il vaut la peine de s’y replonger aujourd’hui tant on y trouve d’échos à la vague épidémique qui déferle: les autorités qui tardent à regarder la réalité en face, les mesures de confinement, les différentes façons de réagir face au mal, par le déni, le dédain, la magouille, la panique, la fuite. Ou l’engagement, incarné par le docteur Rieux.

En 1947, à la parution de La Peste, les lecteurs y ont lu, et c’était le souhait de l’auteur, une fable sur la résistance face au nazisme. Mais la pestilence peut prendre d’autres couleurs, d’autres noms. Camus a écrit de façon à ce que son livre puisse être lu «sur plusieurs portées».

Comme tous les classiques, chaque génération s’y retrouve, chaque actualité s’y reflète. Succès immédiat en France et à l’étranger, traduit dans une dizaine de langues, La Peste demeure aujourd’hui le 3e plus grand succès de Gallimard après Le Petit Prince de Saint-Exupéry et L’Etranger de Camus.

Criants de vérité
Autre lecture d’actualité, parue celle-là en janvier et qui frappe par son côté prémonitoire: le premier volume de La Chute, de Jared Muralt, dessinateur et auteur de BD bernois. Lors d’un été caniculaire, une grippe sévit et tue. Le virus s’ajoute à la sécheresse et à la crise migratoire.

L’armée est appelée pour faire respecter les mesures de confinement et n’hésite pas à tirer. Les denrées alimentaires manquent, les gangs règnent, la faim aussi. Dans ce monde qui s’écroule, un homme pleure sa femme atteinte du virus et tente de survivre avec ses deux jeunes ados. Il est sonné. Nous le sommes tous.



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ADDENDA


Quand l’épidémie s’abat sur la ville

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Jared Muralt imagine les ravages provoqués par une grippe estivale virulente. Toute ressemblance avec l’actualité n’est pas fortuite…

Extrait de «La Chute», de Jared Muralt. — © Jared Muralt/Futuropolis /Gallimard
Auteur externe Michel Porret
Publié dimanche 15 mars 2020 à 11:03




Bédéiste bernois, attaché au genre réaliste en une ligne claire modernisée et pessimiste, Jared Muralt a publié, en 2015, Hellship, récit dessiné sur la vie quotidienne de l’équipage d’un bombardier américain B-25 en mission dans les cieux japonais. De la guerre naîtrait l’aspiration au bien? Plutôt éprouvant, son nouvel et spectaculaire opus, La Chute, tout en demi-teinte graphique, fait écho à l’actualité immédiate du péril épidémique qui aujourd’hui nous plonge dans le désarroi.

Dans un monde non daté, mais épuisé par le réchauffement climatique et la pollution mécanique, la «grippe estivale» décime les populations urbaines, qui se réduisent comme une peau de chagrin. Les frontières militarisées de l’Europe sont assiégées par l’exode de millions de réfugiés menacés par l’épidémie. Omniprésents et emplis de vaine autorité sur les ondes radiophoniques, les médecins et les épidémiologistes pérorent. Ils sont débordés par la «mutation» et l’«évolution» du virus morbide qu’ils nomment aussi la «grippe aviaire». Le programme de vaccination collective ne doit pas s’arrêter, même s’il est inefficace.

Lire aussi: Sous le choc, les milieux culturels se préparent à affronter une longue crise

Zones de quarantaine
S’y ajoute la généralisation, tout aussi inefficace, des «zones de quarantaine» mises sous autorité militaire. Chaque individu qui se déplace en ville doit «porter à toute heure un masque facial». D’obscures «alertes terroristes» légitiment la liquidation militaire des poches les plus insalubres de la ville encore debout. Ceux qui fuient les zones de quarantaine sont abattus par les «forces de sécurité… en état de légitime défense». Un prophète égaré évoque la colère divine. Le ciel consumériste s’est trop rapproché de la terre.

Récession, pénurie alimentaire et énergétique, chaos social, mobilisation des forces armées, guerre civile, loi martiale, interdiction des manifestations publiques, agonie des transports et des services publics, surpopulation hospitalière, enseignements scolaire et universitaire sur internet: en une ville germanophone suffocante, avec une température moyenne de 38 degrés, le cataclysme social qu’affronte un père chômeur, nostalgique et humaniste alcoolique, avec deux enfants privés de leur mère infirmière (disparue durant son service hospitalier), emblématise le sort de l’humanité au bord du point de non-retour, comme dans toute bonne anti-utopie.

Carnage communautaire
Alors que les avions de chasse percent les cieux, un seul objectif: survivre. Struggle for life généralisée. Soit échapper au carnage communautaire et à la contamination virale pour tenter de manger, malgré les morts qui encombrent la ville émeutière que pacifient l’armée et les milices d’épuration sociale.

Insularité apocalyptique et désespérance teintée des vestiges heureux du passé, entre ensevelissements collectifs dans des fosses communes, pillages des supermarchés, chasse aux ultimes chats errants, la destinée de Sophia, de son petit frère Max et de leur père Liam avec leur lapin Mister Lewis (dévoré par un voisin affamé) illustre la survie désespérée dans un monde déshumanisé par la violence née de l’épidémie. Comment protéger l’innocence des enfants non responsables de la stupidité des adultes, qui les protègent bien trop tard?

Vers l'apocalypse
Réverbérant l’imaginaire dystopique d’après 1984 de George Orwell, hommage en filigrane à Soleil vert (1973) de Richard Fleischer ou écho graphique à La Route de Cormac McCarthy (Prix Pulitzer 2007), La Chute mérite lecture. Efficacement, le dessinateur suisse pose la question politique d’aujourd’hui dans un monde en chute libre: quelles sont les raisons qui nous mènent aveuglément vers l’apocalypse? Pourquoi continuer de miner une planète épuisée? Retrouvant la tendresse préalable à la dissolution conjugale de leur famille, Sophia, Liam et Max survivront-ils dans un pays au bord de l’effondrement? Les institutions de la modernité étatique, sanitaire et sociale d’après 1945 peuvent-elles encaisser un tel choc hors de l’Etat plus que sécuritaire? La protection civile deviendra-t-elle inexorablement militaire?

Après cet épisode prometteur, attendons le second volume pour répondre à ces questions loin d’être inactuelles. On l'a compris, l’imaginaire inquiet qui imprègne La Chute, fait écho, parfois très explicitement, au monde de 2020.

Extrait de «La Chute», de Jared Muralt. Jared Muralt/Futuropolis /Gallimard
Bande dessinée, Jared Muralt, La Chute
Traduit de l’allemand par Hélène Dauniol-Remaud
Futuropolis /Gallimard, 60 p.

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